Article original
Prévalence et facteurs de risque de l'addiction aux substances psychoactives en milieu anesthésique : résultats de l'enquête nationalePrevalence and risk factors for substance abuse and dependence among anaesthetists: a national survey

https://doi.org/10.1016/j.annfar.2005.02.023Get rights and content

Résumé

Objectif. – Les comportements addictifs en milieu médical et notamment parmi les anesthésistes–réanimateurs, sont connus et reconnus comme un sujet de préoccupation. La plupart de données disponibles sur la prévalence du phénomène proviennent des pays anglo-saxons.

Méthodes. – Une enquête nationale a donc été conduite en s'appuyant sur l'envoi d'un questionnaire dont l'objectif était de préciser l'état de la consommation de substances psychoactives parmi les médecins anesthésistes–réanimateurs français. L'enquête a porté sur la consommation de tabac, d'alcool, de tranquillisants et d'hypnotiques, et d'autres agents tels que cannabis, opiacés et agents anesthésiques. Les répondeurs ont été classés en deux catégories : (non consommateurs et consommateurs) et (abuseurs et dépendants). Une analyse univariée puis multivariée a permis de déterminer les facteurs de risque d'abus ou de dépendance vis-à-vis des substances étudiées.

Résultats. – Au total, 3 476 réponses ont été obtenues soit un taux de réponse de 38 % ; 22,7 % des répondeurs était des fumeurs quotidiens, 10,9 % étaient abuseurs ou dépendants à au moins une substance autre que le tabac : soit l'alcool (59,0 %), les tranquillisants et les hypnotiques (41,0 %), le cannabis (6,3 %), les opiacés (5,3 %), et les stimulants (1,9 %). Les sujets souffrant d'addiction avaient plus souvent une perception négative de leurs conditions de travail et souffraient plus souvent de perturbations du sommeil.

Conclusion. – L'alcool apparaît donc comme la principale cause d'addiction chez les médecins anesthésistes–réanimateurs français, mais la consommation de substances psychoactives recouvre un large éventail de produits. Les sujets souffrant d'addiction expriment plus fréquemment des difficultés vis-à-vis de leur environnement au travail qui ont pu éventuellement contribuer au développement de leur pathologie.

Abstract

Objective:– Addiction behaviours in the anaesthetist population have been recognized as a significant health-related issue and its scope is a matter of concern.

Methods. – A national survey conducted among French anaesthetists consisted of a questionnaire designed to elicit information related to demographics, and work conditions, as well as substance consumption status. The study investigated the following: tobacco, alcohol, tranquillizers–hypnotics, and other agents such as cannabis, cocaine, opiates and anaesthetic agents. Respondents were classified in two categories: (no use and use)–(abuse and dependence). An univariate and multivariate analysis were performed to determine risk factors associated with drug abuse and dependence.

Results. – 3,476 physicians responded to the questionnaire (38.0% response rate); 22.7% were daily tobacco smokers; 10.9% were abuser or dependent to one or more substances other than tobacco i.e. alcohol (59.0%), tranquillizers and hypnotics (41.0%), cannabis (6.3%), opiates (5.5%), and stimulants (1.9%). Sleep disturbances and negative perception of work environment were more frequently reported among addicted anaesthetists.

Conclusion. – In French anaesthetists, addiction is mainly related to alcohol consumption but includes a broad spectrum of substances. Addicted subjects report issues around work environment that may have contributed to the development of their pathology.

Introduction

La consommation de substances psychoactives, licites ou illicites, par les médecins anesthésistes–réanimateurs, est un vrai problème qui engage non seulement leur propre santé mais peut aussi affecter la sécurité des patients dont ils ont la charge. Un rapport de la British Medical Association suggère que près d'un médecin sur 15 serait concerné par ce problème en Grande Bretagne [1]. Différentes enquêtes ont mis en évidence que 1 à 5 % des médecins anesthésistes étaient en situation d'addiction pour des substances utilisées en anesthésie telles que les opiacés ou les hypnotiques [2], [3], [4], [5], [6], [7], [8], [9]. La plupart de ces enquêtes, effectuées dans les pays anglo-saxons, ont concerné un échantillon de la population anesthésique et de plus, ces enquêtes ont porté essentiellement sur les agents utilisés pour la pratique de l'anesthésie au bloc opératoire. Les comportements addictifs concernent en fait un large éventail de substances chimiques, mais aussi l'alcool et le tabac. De plus, le stress, la fatigue et la surcharge de travail qui peuvent intervenir au cours de la pratique de l'anesthésie et de la réanimation, ont été évoqués en tant que facteurs de risque à côté d'autres facteurs bien connus tels que les antécédents familiaux et l'existence de troubles psychiatriques [10], [11]. Nous avons donc conduit une enquête nationale parmi les anesthésistes réanimateurs français pour évaluer l'importance de la consommation actuelle de tabac, d'alcool et d'autres substances psychoactives, ainsi que leur relation éventuelle avec les conditions de travail.

Section snippets

Déroulement de l'enquête

Une enquête nationale a été menée en décembre 2001 parmi les médecins anesthésistes–réanimateurs inscrits au conseil national de l'ordre des médecins. L'enquête a été effectuée après déclaration auprès de la commission nationale de l'informatique et des libertés. Un questionnaire anonyme a été adressé sous enveloppe aux 9186 médecins concernés, associé à une enveloppe réponse. L'annonce de l'enquête avait été faite au préalable dans la lettre du Collège français des anesthésistes–réanimateurs

Résultats

Au total, 3 476 questionnaires ont été retournés soit un taux de réponse de 38 %, 2 744 répondeurs ont renseigné tous les items de telle sorte que leurs réponses ont pu être exploitées dans l'analyse multivariée pour la détermination des facteurs de risque indépendants. Les données démographiques de la population étudiée sont indiquées dans le Tableau 1. Une majorité de répondeurs était de sexe masculin, 50 % avaient entre 46 et 55 ans et l'anesthésie était l'activité professionnelle principale

Discussion

Cette enquête représente la première étude concernant l'addiction en milieu médical, bâtie sur un échantillon national, qui s'intéresse à toutes les substances psychoactives et qui plus est fondée sur le recueil direct de l'information auprès des sujets concernés. Le taux de réponse obtenu, a été de 38 %, soit un échantillon de 3 476 répondeurs. En dépit de la clause de confidentialité et du respect de l'anonymat, il est vraisemblable qu'un certain nombre de praticiens n'a pas souhaité répondre

Conclusion

Cette enquête nationale montre que l'abus et la dépendance aux substances psychoactives est une réalité en milieu anesthésique et de réanimation. La prévalence du phénomène est probablement inférieure à ce qu'elle est dans la population générale mais pour chacun des agents concernés, elle recoupe les profils de consommation rapportés dans la population générale. L'addiction est associée à une perception négative des conditions de travail sans qu'il puisse être établi qu'elle en soit la cause ou

Remerciements

À la société Quanta Medical & C° pour son aide à l'analyse statistique.

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      Undiagnosed depression, often linked to suicide, is common in medical residencies.12 Furthermore, sleep disturbances and a negative perception of the workplace were the 2 leading problems among European anesthesiology residents who abused medications—these 2 factors are cited as potentiating depression.12,13 The present survey found 58.7% of OMS programs reported instituting education regarding substance abuse, a number similar to that seen in anesthesiology, where 69% of programs have mandatory formal education.3

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    Groupe de travail sur l'addiction en milieu anesthésique : Philippe Batel (AP-HP), Laure Beaujouan (AP-HP), Francis Bonnet (AP-HP – Cfar), François Chieze (AP HP), Sébastien Czernichow (Inserm U557), Max Doppia (Cfar), Bertand Dureuil (Cfar), Frohid Lorin (Cfar), Jean-Louis Pourriat (Cfar), Anne-Marie Pezous (AP-HP) Seti Reyes (Cfar). AP-HP : assistance publique-hôpitaux de Paris. Cfar : Collège français des anesthésistes-réanimateurs.

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