Elsevier

Bulletin du Cancer

Volume 105, Issue 9, September 2018, Pages 790-803
Bulletin du Cancer

Recommandations
Suivi thérapeutique pharmacologique du 5-fluorouracile : mise au point et recommandations du groupe STP-PT de la SFPT et du GPCO-Unicancer5-fluorouracil therapeutic drug monitoring: Update and recommendations of the STP-PT group of the SFPT and the GPCO-Unicancer

https://doi.org/10.1016/j.bulcan.2018.06.008Get rights and content

Résumé

Le 5-fluorouracile (5-FU), développé il y a plus de 60 ans, demeure la molécule de chimiothérapie de référence dans le traitement des tumeurs solides telles que les cancers du sein, les cancers gastro-intestinaux ou les cancers de la sphère ORL, et ce, en situation néo-adjuvante, adjuvante ou métastatique. Il est à l’origine de nombreux effets indésirables potentiellement sévères et dont la fréquence de survenue chez les patients traités peut atteindre 15 à 40 % des patients. Ces effets indésirables peuvent être létaux dans environ 1 % des cas. De nombreuses études montrent un lien étroit entre exposition en 5-FU et toxicité ou efficacité. Or, il existe une très forte variabilité interindividuelle de la pharmacocinétique du 5-FU. Cette variabilité s’explique en partie seulement par les polymorphismes génétiques affectant le gène DPYD codant pour la DPD, l’enzyme qui catabolise 80 % des doses de 5-FU administrées et qui peut occasionner des surtoxicités sévères. Ainsi, des patients peuvent, malgré l’adaptation à leur statut DPD, présenter un sous- ou surdosage responsable d’une inefficacité ou d’une toxicité majorée du traitement. En présentant les données de la littérature sur le lien entre concentration en 5-FU et efficacité ou toxicité, le « Groupe de suivi thérapeutique pharmacologique et personnalisation des traitements » (STP-PT) de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) et le « Groupe de pharmacologie clinique oncologique » (GPCO)-Unicancer recommandent la mise en place d’un suivi thérapeutique pharmacologique (STP) pour s’assurer d’une exposition optimale en 5-FU.

Summary

Despite being 60-years old now, 5-FU remains the backbone of numerous regimen to treat a variety of solid tumors such as breast, head-and-neck and digestive cancers either in neo-adjuvant, adjuvant or metastatic settings. Standard 5-FU usually claims 15-40% of severe toxicities and up to 1% of toxic-death. Numerous studies show a stiff relationship between 5-FU exposure and toxicity or efficacy. In addition, 5-FU pharmacokinetics is highly variable between patients. Indeed, 80% of the 5-FU dose is catabolized in the liver by dihydropyrimidine dehydrogenase (DPD) into inactive compounds. It is now well established that DPD deficiency could lead to severe toxicities and, thus, require dose reduction in deficient patients. However, despite dosage adaptation based on DPD status, some patients may still experience under- or over-exposure, leading to inefficacy or major toxicity. The “Suivi thérapeutique pharmacologique et personnalisation des traitements” (STP-PT) group of the “Société française de pharmacologie et de thérapeutique” (SFPT) and the “Groupe de pharmacologie clinique oncologique” (GPCO)-Unicancer, based on the latest and most up-to-date literature data, recommend the implementation of 5-FU Therapeutic Drug Monitoring in order to ensure an adequate 5-FU exposure.

Introduction

Le 5-fluorouracile (5-FU) est un anticancéreux antimétabolite appartenant à la classe des fluoropyrimidines, développé il y a plus de 60 ans. Il est encore très largement utilisé dans le traitement des tumeurs solides telles que les cancers du sein, les cancers gastro-intestinaux ou les cancers de la sphère ORL et ce, en situation néo-adjuvante, adjuvante ou métastatique, le plus souvent en association avec d’autres cytotoxiques, mais également des biothérapies ciblant la voie de l’EGFR ou le VEGF. En fonction des protocoles, il peut être administré en bolus intraveineux ou en perfusion prolongée (entre 8 et 120 heures). C’est un analogue fluoré de l’uracile en position C5. Le 5-FU possède une voie anabolique complexe conduisant à la formation de ribo- et désoxyribo-nucléosides, puis de nucléotides triphosphates pouvant s’incorporer dans l’ADN et l’ARN. Cependant le mécanisme majeur conduisant à l’inhibition de la prolifération cellulaire est l’inhibition de la thymidylate synthétase, enzyme clé de la synthèse de novo de la thymidine, par le 5-fluorodéoxyuridine monophosphate (FdUMP) entraînant un déséquilibre dans le pool des nucléotides et in fine l’inhibition de la synthèse d’ADN et le déclenchement de l’apoptose. La voie catabolique du 5-FU consiste en une métabolisation massive (> 80 %) par la dihydropyrimidine déhydrogénase (DPD) hépatique en composés inactifs. Le 5-FU est à l’origine de nombreuses toxicités de sévérités variables : neutropénies, diarrhées, mucites, syndromes mains-pieds… Ces toxicités touchent 15 à 40 % des patients, notamment lorsqu’il est administré en association à d’autres cytotoxiques [1], [2], [3], [4]. Elles peuvent être létales dans environ 1 % des cas. En France, le nombre annuel de patients traités par 5-FU ou par ses dérivés n’est pas documenté, mais on l’estime, selon les statistiques de l’INCa, à environ 100 000 patients/an. Sur cette base, on estime donc à 1000 le nombre de décès par an attribué au 5-FU et ses dérivés. Il faut toutefois noter qu’en cas d’intoxication, un antidote, le Vistogard® (uridine triacétate), est disponible en France par le biais d’une ATU nominative octroyée par l’ANSM.

Il a été établi qu’un déficit en DPD pouvait être à l’origine de ces toxicités sévères et un article, publié récemment dans cette revue, propose des stratégies d’adaptation de posologie en fonction du génotype et/ou du phénotype DPD des patients [5]. Cette adaptation est essentielle pour éviter les surdosages en 5-FU massifs et souvent fatals. Cependant, l’existence d’un déficit en DPD n’est pas la seule explication à la forte variabilité pharmacocinétique du 5-FU. Des patients peuvent, malgré l’adaptation à leur statut DPD de la posologie initiale, présenter un sous- ou surdosage responsable d’une inefficacité ou d’une toxicité majorée. Par exemple, la sensibilité des approches génotypiques pour prédire un risque toxique n’excède usuellement pas 12 %, suggérant ainsi que cette stratégie seule ne permet pas de sécuriser les chimiothérapies à base de 5-FU [2]. Par conséquent, suite à l’adaptation de la posologie au statut DPD, tel que recommandé dans l’article précédent, un suivi thérapeutique pharmacologique (STP) devrait également être mis en place pour s’assurer d’une exposition optimale en 5-FU.

Cet article collégial présente les recommandations du « Groupe de pharmacologie clinique oncologique » (GPCO)-UNICANCER et du « Groupe suivi thérapeutique pharmacologique et personnalisation des traitements » (STP-PT) de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) en matière de STP du 5-FU, sur la base des dernières données de la littérature.

Section snippets

Pharmacocinétique du 5-fluorouracile

La pharmacocinétique (comme la pharmacodynamie) du 5-FU est liée à son analogie structurale avec la base pyrimidique physiologique, l’uracile. Le 5-FU est un substrat à la fois d’enzymes et de transporteurs dévolus aux bases pyrimidiques. En particulier, les caractéristiques pharmacocinétiques du 5-FU découlent du fait que le 5-FU est un substrat de la DPD, enzyme exprimée surtout au niveau hépatique, mais aussi au niveau des entérocytes. Pour cette raison, les effets de premier passage

Relation concentrations-toxicité

Historiquement, le 5-FU était administré sous forme de bolus de quelques minutes à une heure. Pour ce schéma d’administration, les études retrouvées concernent toutes des cancers colorectaux, à des posologies comprises entre 370 et 600 mg/m2 (tableau I). Les principaux effets indésirables sévères notés sont des diarrhées (7,1 à 13,6 %), des nausées/vomissements (23 %), des troubles hématologiques de type leucopénie (2,9 à 12,5 %) ou anémie (6,2 %), et des mucites (14,3 %) [22], [23]. Grem et

Rationnel

Une fois la démonstration faite de la grande variabilité des concentrations plasmatiques du 5-FU et de l’existence d’une relation entre ses concentrations et ses effets (thérapeutiques et/ou toxiques), il convient d’évaluer l’impact que peut avoir le STP du 5-FU sur les pratiques d’utilisation clinique de cet anticancéreux. L’objet de ce présent paragraphe est d’évaluer à partir des études concentrations-contrôlées menées sur le sujet, l’impact du STP en termes de réduction du risque de

Quand doser ?

La demi-vie extrêmement courte du 5-FU, ainsi que le recours quasi-systématique à une injection en bolus avant la perfusion longue, font que le 5-FU atteint très rapidement sa concentration à l’équilibre et qu’en théorie un prélèvement précoce suffit à évaluer son AUC par une simple approche graphique. Dans les années 1990, de nombreuses études testant la relation concentrations-efficacité ou concentrations-toxicité du 5-FU administré sur 96 à 120 h dans le traitement des cancers ORL ont évalué

Synthèse/recommandations

L’apport du STP du 5-FU apparaît incontestable à la lumière des données de la littérature. Ainsi, plusieurs études prospectives comparatives suggèrent l’intérêt de cette approche en termes d’amélioration de l’efficacité du traitement et de diminution du risque de survenue d’effets indésirables graves. Fait exceptionnel, deux études randomisées contrôlées démontrent la supériorité d’une approche posologique guidée par STP du 5-FU sur une posologie adaptée à la surface corporelle : une dans le

Déclaration de liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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