Elsevier

L'Encéphale

Volume 41, Issue 4, September 2015, Pages 332-338
L'Encéphale

Psychiatrie légale
Étude du vécu et de la compréhension par les patients hospitalisés sans consentement de l’audience devant le juge des libertés et de la détentionInvoluntary hospitalization under the Act of July 5th 2011: A study of patients’ experience and understanding of their hearing with the judge ruling on civil detention cases

https://doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.005Get rights and content

Résumé

L’objectif était de documenter le vécu de l’audience par le juge des libertés et de la détention des patients hospitalisés sans consentement et de déterminer leur compréhension des tenants et des aboutissants de son intervention. L’enquête a été menée auprès de patients hospitalisés en admission en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (ASPDT) ou sur décision du représentant de l’État (ASPDRE). Seuls 13 % d’entre eux étaient en mesure de citer le lieu de l’audience et 21 % le titre exact du juge. La moitié des participants ont contesté la mesure d’hospitalisation lors de l’audience, et plus de la moitié ont bénéficié du conseil d’un avocat. La majorité des participants estiment que le juge s’est montré à l’écoute, bienveillant et clair mais remettent en cause son impartialité et son indépendance vis-à-vis des décisions médicales. Plus de la moitié des patients se déclarent en désaccord avec sa décision mais seul un cinquième envisage de faire appel. Le maintien de l’hospitalisation a suscité un sentiment d’injustice pour plus d’un tiers des intéressés, de la résignation et de l’indifférence pour environ un quart d’entre eux. Les trois quarts de l’échantillon portent un regard favorable sur le contrôle judiciaire de l’hospitalisation. Un sentiment de protection est plus fréquent chez les personnes qui ont un niveau d’études supérieur au baccalauréat et qui souffrent d’un trouble de l’humeur. De même, un sentiment d’accusation est plus fréquent en cas d’hospitalisation en ASPDRE. Le sentiment que « tout était joué d’avance » est plus fréquent chez les patients les plus jeunes. Cette étude montre que le vécu et la compréhension de l’audience sont marqués par des sentiments et des réactions contrastés.

Summary

Objective

To assess involuntary admitted patients’ experience and understanding of their hearing with the judge ruling on civil detention cases according to the Act of July 5th 2011.

Methods

The evaluation was conducted through face-to-face interviews, from a semi-structured questionnaire, with 48 involuntary admitted patients under psychiatric care admission on a third party request (ASPDT) or on state representative decision (ASPDRE) (participation rate = 96%).

Results

Few participants knew the name of the hearing place (13%) and the judge's exact title (21%). About 58% of them had benefited from lawyer services. During the hearing, half of the patients contested the need for hospitalization. The judge was perceived as clear (79%), listening (69%) and benevolent (58%), but only 46% of patients believed that he/she was impartial and 35% that he/she was independent from medical decisions. More than half of the patients disagreed with the judge's decision (56%). However, only 19% of them planned to appeal. Three out of four were in favour of a judicial review of involuntary hospitalization. A feeling of protection was more common in people with a higher educational level (65% versus 35%, Chi2 (1) = 3.9, P = 0.05) and who suffered from mood disorders (75% versus 46%, Chi2 (1) = 3.8, P = 0.05). A feeling of being accused was more frequent in persons with hospitalization under psychiatric care admission on state representative decision (ASPDRE) than on a third party request (ASPDT) (37% vs 10%, Chi2 (1) = 4.9, P = 0.03). Persons under guardianship were also more likely to report such feelings (32% versus 10%, Chi2 (1) = 3.4, P = 0.06). The feeling that “everything was preordained” was more common in younger patients (m = 36.4 years [SD = 13.9] vs m = 46.2 years [SD = 17.8], t-test [46] = 2.01, P = 0.04), as well as among those who used the advice of a lawyer, with an association at a trend level (73% versus 46%, Chi2 (1) = 3.5, P = 0.06).

Conclusion

Systematic judicial review of involuntary hospitalization represents a major evolution in the patients’ rights field. This study shows that their experience and understanding of the hearing with the judge ruling on civil detention cases are quite mixed. In clinical practice, informing the patient about the upcoming hearing may allow the physician who initiates the hospitalization to reassure him/her as the intervention of a third party will be required to confirm the legality of involuntary admission. Furthermore, such information about the judicial intervention might avoid unproductive confrontation between the patient and the physician when the person remains opposed to the hospitalization. However, some patients may be disappointed as they are heavily invested in the preparation of their “defence” and have high hopes in the intervention of a judge who most often maintains the hospitalization.

Introduction

En France, l’hospitalisation sans consentement a été successivement régie par la loi du 30 juin 1838, puis par son avatar, la loi du 27 juin 1990 [1]. Aux termes de son article 4, cette dernière aurait dû faire l’objet d’une évaluation dans les cinq années suivant sa promulgation. Le « rapport STROHL » [2], élaboré par un groupe national auquel cette tâche a échu, n’a été remis qu’en 1997 et a été le premier d’une série d’autres rapports, avis et recommandations. De manière concomitante, l’amoncellement de condamnations portées, tour à tour, par la Cour européenne des droits de l’Homme et par le Conseil constitutionnel, a finalement contraint le législateur à réformer la loi de 1990 [3]. Saisis par le biais de deux questions prioritaires de constitutionnalité, les sages ont, en effet, déclaré inconstitutionnelles plusieurs de ses dispositions, avec une date d’abrogation fixée au 1er août 2011 [4], [5]. L’élaboration de la loi du 5 juillet 2011 [6] s’est également déroulée dans le contexte d’une série d’homicides ayant impliqué des personnes souffrant de troubles psychiques, dans le courant des années 2000 [7].

L’encadrement judiciaire systématique des hospitalisations sans consentement est devenu effectif le 1er août 2011, date d’entrée en vigueur de la loi. Ce nouveau texte a introduit le principe du contrôle systématique de toute hospitalisation complète au travers d’une audience devant le juge des libertés et de la détention (JLD), qui devait se tenir dans un délai de 15 jours lors de notre étude (délai porté à 12 jours depuis le 1er septembre 2014) et, le cas échéant, au 6e mois [6], [8]. L’une des principales inconnues de l’instauration de ce « contrôle de plein droit » [4] était alors son appropriation par les patients. Quel comportement allaient-ils adopter face à ce nouvel interlocuteur ? Comprendraient-ils l’intérêt de son intervention ? Si oui, parviendraient-ils à s’en saisir et jusqu’à quel point (préparation d’une « défense », assistance d’un avocat…) ? Ne risquaient-ils pas de se trouver anxieux, voire persécutés, lors de l’audience ? Quelles seraient les réactions en cas de maintien de l’hospitalisation sans consentement ?

L’objectif de cette étude est de documenter le vécu de l’audience par le JLD des patients hospitalisés sans consentement et de déterminer leur compréhension des tenants et des aboutissants de son intervention.

Section snippets

Méthodes

Les patients ont été recrutés entre juin et novembre 2012, au sein du pôle universitaire de psychiatrie adulte du centre hospitalier Charles-Perrens. Les critères d’inclusion étaient :

  • âge  18 ans ;

  • être hospitalisé sans consentement (ASPDT, ASPPI, ASPDRE) ;

  • avoir rencontré le JLD pendant l’hospitalisation actuelle et depuis moins d’un mois ;

  • être en capacité de comprendre les questions ;

  • accepter l’entretien et la consultation de tous documents médicaux utiles.

Le recueil des données a été fait avec

Recrutement

Sur les 50 patients sollicités, 48 ont participé à l’étude en raison d’un refus et de l’incapacité d’une patiente à répondre aux questions. L’évaluation a eu lieu, en moyenne, dans les 9 jours suivant l’audience devant le JLD (min–max = 2–27). Les caractéristiques démographiques et cliniques des patients figurent dans le Tableau 1.

Information sur l’audience à venir et vécu émotionnel de l’annonce

La majorité des patients estiment la qualité de l’information délivrée concernant l’audience à venir « très claire/claire » (60,4 %) mais insuffisante (52,1 %). Cette

Discussion

Sur les 48 sujets inclus (taux de participation de 96 %), rares sont ceux qui sont en mesure de citer exactement le lieu de l’audience et le titre du juge. Seuls un peu moins de 6 patients sur 10 ont bénéficié du conseil d’un avocat. La moitié des participants ont contesté la mesure d’hospitalisation lors de l’audience. Concernant le juge, la majorité des participants estiment qu’il s’est montré à l’écoute, bienveillant et clair mais remettent en cause son impartialité et son indépendance

Conclusion

L’instauration d’un contrôle judiciaire systématique des HSC représente une évolution majeure dans le domaine de la défense des droits des patients. Il ressort de cette étude que leur vécu et leur compréhension de l’audience sont contrastés comme en attestent, par exemple, les résultats concernant l’attitude du juge : s’il est perçu comme étant à l’écoute, clair et bienveillant, il apparaît également comme partial et dépendant des décisions médicales.

En pratique clinique, l’information sur

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références (22)

  • Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

    Journal Officiel de la République française

    (2011)
  • Cited by (3)

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