Revue générale
Les conservateurs des collyres : vers une prise de conscience de leur toxicitéPreservatives in eye drops: Toward awareness of their toxicity

https://doi.org/10.1016/j.jfo.2010.06.018Get rights and content

Résumé

Les conservateurs sont présents dans de nombreux collyres multidoses. Ils assurent la stérilité de la solution vis-à-vis des bactéries et champignons. Cependant, des études ont montré que les conservateurs sont toxiques pour la surface oculaire notamment chez les patients prenant des collyres au long cours. Le conservateur le plus employé dans les collyres est le chlorure de benzalkonium, ammonium quaternaire utilisé comme détergent, antiseptique, désinfectant, fongicide, bactéricide et spermicide. Son utilisation sur la surface oculaire pourrait avoir des conséquences importantes en particulier sur le long terme. En effet, les conservateurs provoquent la dissolution du film lacrymal et sont pro-apoptotiques et pro-inflammatoires. L’administration prolongée de collyres contenant un ou plusieurs conservateurs conduit à une altération des structures superficielles (conjonctive, cornée) et plus profondes (trabéculum, cristallin). Les signes et symptômes oculaires les moins sévères se manifestent par une gêne ou des irritations : sensation de corps étranger de picotement ou brûlure, d’œil sec. Pour les effets secondaires les plus graves, on observe une inflammation d’intensité variable allant d’une simple réaction infraclinique au développement progressif d’une fibrose avec entre autres un risque accru d’échec en cas de chirurgie du glaucome. Le meilleur moyen de limiter ces complications passe par la réduction du nombre d’instillations de collyres conservés, et idéalement par l’utilisation de collyres sans conservateur, chaque fois que cela est possible. Une meilleure prise en charge de la surface oculaire devrait permettre d’augmenter le confort du patient, l’observance du traitement et d’assurer l’efficacité d’une future chirurgie filtrante chez les patients atteints de glaucome.

Summary

Preservatives are present in numerous multidose eyedrops and provide the sterility of the solution against bacteria and fungi. However, numerous studies have shown their toxicity for the ocular surface, particularly in long-term treatments. The most widely used preservative in eyedrops is benzalkonium chloride. This quaternary ammonium acts as a detergent, antiseptic, disinfectant, fungicide, bactericide, and spermicide. Its use on the ocular surface therefore has significant consequences. Indeed, the preservatives are pro-apoptotic, pro-inflammatory and they cause the dissolution of the lachrymal film. The prolonged administration of one or several eye drops containing preservatives induces changes in the superficial structures (conjunctiva, cornea) as well as in deeper structures (trabecula, lens). The least severe symptoms are irritation and discomfort, including sensation of a foreign body, itching, or burning sensations. However, more severe side effects have been described, such as chronic inflammation of variable intensity or the progressive development of fibrosis with higher risk of failure after glaucoma filtering surgery. Ideally, preservative-free eyedrops should be recommended, or at least a reduction of the number of instilled preserved eyedrops should be considered. All these strategies could increase patient comfort, quality of life, and compliance, with better outcome at the time of filtering surgery.

Introduction

Parmi les médicaments actuels, les préparations ophtalmiques occupent une place particulière tant par leur mode d’administration que par leur forme galénique. En effet, les préparations ophtalmiques sont instillées ou introduites dans l’œil ou mises en contact avec les paupières et doivent par conséquent être adaptées à cet usage. De ce fait, ce sont des solutions, suspensions et parfois crèmes ou pommades, contenues dans un conditionnement adapté tel que flacon en verre, flacon en plastique ou tube en aluminium. La composition de leur formulation doit être compatible avec la muqueuse oculaire, en particulier pour le pH et l’osmolarité, et le produit administré doit être exempt de particules étrangères susceptibles de provoquer des irritations ou des lésions de l’œil traité. La durée d’un traitement ophtalmique est très variable, de quelques jours à de longues années comme dans le cas du glaucome à angle ouvert. Quelle que soit la durée d’un traitement avec une préparation ophtalmique, la présence d’eau dans celle-ci la rend très sensible aux contaminations microbiennes tant bactériennes que fongiques. Cela est, bien sûr, d’autant plus vrai si l’on utilise le même flacon ou le même tube pendant plusieurs jours et que le conditionnement n’a pas été conçu pour empêcher toute pénétration d’air ou de toute autre substance après son ouverture. Les préparations ophtalmiques sont généralement stériles mais cela ne suffit pas pour éviter une contamination microbienne au cours de leur usage lors d’un traitement supérieur à une seule administration avec le même conditionnement. De ce fait, un grand nombre de préparations ophtalmiques contiennent des conservateurs. De plus, pour diminuer tout risque de contamination, même en présence de conservateurs dont l’efficacité n’est jamais absolue, les fabricants de produits ophtalmiques ont systématiquement limité la durée d’utilisation de ces produits à 15 ou 30 jours après leur ouverture. Néanmoins, dès lors que les gouttes sont utilisées fréquemment, les conservateurs peuvent avoir des conséquences sévères qui sont aujourd’hui assez bien documentées, dont entre autres le développement d’une hypersensibilité aux conservateurs chez des personnes prédisposées. L’utilisation fréquente des conservateurs a tendance à fragiliser la surface oculaire, la rendant susceptible de développer des phénomènes inflammatoires plus ou moins chroniques pouvant être graves à long terme [1]. D’où l’apparition chez certains utilisateurs, de signes cliniques fonctionnels à type de prurit, sensations de brûlure, de grains de sable, d’hyperhémie conjonctivale et de douleurs qui traduisent des conjonctivites ou kératoconjonctivites. Cette véritable maladie de la surface oculaire est potentiellement pourvoyeuse d’ulcérations cornéennes, de sécheresse oculaire ou de fibrose et peut mettre en jeu le pronostic visuel dans le temps. En outre, il ne faut pas oublier les facteurs environnementaux liés aux modes de vie actuels qui pourraient aggraver ou favoriser cette toxicité, tels que les ambiances sèches, les climatisations, le travail sur écran, le port de lentilles de contact, le tabac, la pollution… Cette revue rassemble et présente une grande partie des connaissances actuelles sur les conservateurs utilisés dans les collyres, et en premier lieu sur le chlorure de benzalkonium (BAC). Dans une première partie, les types et les modes d’action des conservateurs utilisés dans les préparations ophtalmiques seront décrits. Puis dans une seconde partie, un point sera fait sur la réglementation pharmaceutique en vigueur sur ces conservateurs. Dans une troisième partie, le conservateur de référence pour les préparations ophtalmiques, car le plus couramment utilisé, le BAC, sera traité en développant entre autres ses propriétés pharmacologiques, son mécanisme d’action, sa toxicité et ses effets indésirables.

Section snippets

Classification des conservateurs et modes d’action

Les conservateurs présents dans les préparations ophtalmiques se distinguent par leurs propriétés physicochimiques, leur compatibilité avec les autres constituants du collyre, leur spectre d’activité, leur pouvoir bactériostatique ou mieux bactéricide, leur virulence contre les espèces pathogènes, leur toxicité oculaire et leur pouvoir allergisant. Ils regroupent les ammoniums quaternaires, les dérivés organomercuriels, les amidines, les alcools et les complexes oxychlorés (Fig. 1). Nous

Réglementation des conservateurs en ophtalmologie

La Pharmacopée recommande que les collyres contiennent un agent antimicrobien (conservateur) pour éviter la prolifération ou limiter la contamination microbienne qui, après ouverture du flacon, pourrait être la cause d’un risque d’infection pour le malade et d’une détérioration de la préparation. Une telle contamination des collyres se fait essentiellement par les mains lors de la manipulation ou par contact si l’embout touche les paupières, les cils, la conjonctive ou les larmes. Il y a aussi

Conclusion

L’utilisation des conservateurs en ophtalmologie est un important problème de santé publique car les conservateurs présents dans les collyres sont utilisés par une large catégorie de patients. En effet, les patients présentant une sécheresse oculaire, des allergies oculaires fréquentes, des infections oculaires, ceux présentant un glaucome sont souvent traités avec des médications topiques contenant la plupart du temps des conservateurs. Le BAC est le conservateur le plus fréquemment utilisé

Conflit d’intérêt

Aucun.

Références (109)

  • D. Monti et al.

    Increased corneal hydration induced by potential ocular penetration enhancers: assessment by differential scanning calorimetry (DSC) and by dessication

    Int J Pharm

    (2002)
  • R.L. Grant et al.

    Prolonged adverse effects of benzalkonium chloride and sodium dodecyl sulfate in a primary culture system of rabbit corneal epithelial cells

    Fundam Appl Toxicol

    (1996)
  • C. Baudouin et al.

    Ocular surface inflammatory changes induced by topical antiglaucoma drugs. Human and animal studies

    Ophthalmology

    (1999)
  • C. Baudouin et al.

    Expression of inflammatory membrane markers by conjunctival cells in chronically treated patients with glaucoma

    Ophthalmology

    (1994)
  • C. Baudouin et al.

    Conjunctival epithelial cell expression of interleukins and inflammatory markers in glaucoma patients treated over the long term

    Ophthalmology

    (2004)
  • T.L. Young et al.

    Effects on topical glaucoma drugs on fistulized rabbit conjunctiva

    Ophthalmology

    (1990)
  • J.D. Brandt et al.

    Conjunctival impression cytology patients with glaucoma using long-term topical medication

    Am J Ophthalmol

    (1991)
  • M.B. Sherwood et al.

    Long-term morphologic effects of antiglaucoma drugs on the conjunctiva and Tenon's capsule in glaucomatous patients

    Ophthalmology

    (1989)
  • I.R. Schwab et al.

    Foreshortening of the inferior conjunctival fornix associated with chronic glaucoma medications

    Ophthalmology

    (1992)
  • P. Furrer et al.

    Ocular tolerance of preservatives on the murine cornea

    Eur J Pharm Biopharm

    (1999)
  • M.A. Lemp et al.

    Toxic endothelial degeneration in ocular surface disease treated with topical medications containing benzalkonium chloride

    Am J Ophthalmol

    (1988)
  • H. Liu et al.

    Toxic endothelial cell destruction from intraocular benzalkonium chloride

    J Cataract Refract Surg

    (2001)
  • P. Gilbert et al.

    Cationic antiseptics: diversity of action under a common epithet

    J Appl Microbiol

    (2005)
  • C.J. Ioannou et al.

    Action of disinfectant quaternary ammonium compounds against Staphylococcus aureus

    Antimicrob Agents Chemother

    (2007)
  • A. Labbé et al.

    Comparison of toxicological profiles of benzalkonium chloride and polyquaternium-1: an experimental study

    J Ocul Pharmacol Ther

    (2006)
  • R.K. Rajpal et al.

    Antiseptics and disinfectants

  • Rose FL, Swain G. Bisdiguanides having antibacterial activity. J Chem Soc. 1956; Part IV, 4422-4425. In: P. Broxton,...
  • P.D. Darbre et al.

    Concentrations of parabens in human breast tumours

    J Appl Toxicol

    (2004)
  • P.D. Darbre et al.

    Paraben esters: review of recent studies of endocrine toxicity, absorption, esterase and human exposure, and discussion of potential human health risks

    J Appl Toxicol

    (2008)
  • P.R. Ingram et al.

    A comparison of the effects of ocular preservatives on mammalian and microbial ATP and glutathione levels

    Free Radic Res

    (2004)
  • I.P. Kaur et al.

    Ocular preservatives: associated risks and newer options

    Cutan Ocul Toxicol

    (2009)
  • R.A. Lewis et al.

    Travoprost 0.004% with and without benzalkonium chloride: a comparison of safety and efficacy

    J Glaucoma

    (2007)
  • C. Baudouin et al.

    In vitro studies of antiglaucomatous prostaglandin analogues: travoprost with and without benzalkonium chloride and preserved latanoprost

    Invest Ophthalmol Vis Sci

    (2007)
  • M. Kahook et al.

    Comparison of corneal and conjunctival changes after dosing of travoprost preserved with sofzia, latanoprost with 0,02% benzalkonium chloride, and preservative-free artificial tears

    Cornea

    (2008)
  • H. Chibret

    Conservateurs et préparation ophtalmiques : réalités et perspectives

    Ann Pharm Fr

    (1997)
  • Bonnard N, Brondeau MT, Falcy M, Protois JC, Schneider O. Fiche toxicologique 253, chlorure de benzalkonium. Institut...
  • D.L. Fredell

    Biological properties and applications of cationic surfactants

  • C. Debbasch et al.

    Quaternary ammoniums and other preservatives contribution in oxidative stress and apoptosis on Chang conjunctival cells

    Invest Ophthalmol Vis Sci

    (2001)
  • C. Debbasch et al.

    Mitochondrial activity and glutathione injury in apoptosis induced by unpreserved and preserved beta-blockers on Chang conjunctival cells

    Invest Ophthalmol Vis Sci

    (2001)
  • J. Fleurette et al.

    Les ammoniums quaternaires

    Antisepsie et désinfection

    (1996)
  • F. Ferk et al.

    BAC and DDAB, two common quaternary ammonium compounds, cause genotoxic effects in mammalian and plant cells at environmentally relevant concentrations

    Invest Ophtalmol Vis Sci

    (2007)
  • M. Hitosugi et al.

    A case of benzalkonium chloride poisoning.1

    Int J Legal Med

    (1998)
  • C.Y. Ho et al.

    In vitro effects of preservatives in nasal sprays on human nasal epithelial cells

    Am J Rhinol

    (2008)
  • K. Hegstad et al.

    Does the wide use of quaternary ammonium compounds enhance the selection and spread of antimicrobial resistance and thus threaten our health?

    Microb Drug Resist

    (2010)
  • K. Hegstad et al.

    Does the wide use of quaternary ammonium compounds enhance the selection and spread of antimicrobial resistance and thus threaten our health?

    Rob Drug Resist

    (2010)
  • N.A. Romanova et al.

    Role of Efflux Pumps in Adaptation of Resistance of Listeria monocytogenes to benzalkonium chloride

    Applied Environ Microbiol

    (2006)
  • B.V. Para et al.

    Analysis of benzalkonium chloride by capillary electrophoresis tandem mass spectrometry

    Electrophoresis

    (2006)
  • Y. Guo et al.

    Benzalkonium chloride induces dephosphorilation of myosin light chain in cultured corneal epithelial cells

    Invest Ophthalmol Vis Sci

    (2007)
  • R.J. Marsh et al.

    Patch testing in ocular drug allergies

    Trans Ophthalmol Soc UK

    (1978)
  • A. Tosti et al.

    Hyposenzitising therapie with standard antigenic extracts: an important source of thimerosal sensitzation

    Contact Dermatitis

    (1989)
  • Cited by (35)

    • Lipidomic analysis of epithelial corneal cells following hyperosmolarity and benzalkonium chloride exposure: New insights in dry eye disease

      2020, Biochimica et Biophysica Acta - Molecular and Cell Biology of Lipids
      Citation Excerpt :

      BAK is a quaternary ammonium salt with detergent and microbicidal properties and quaternary ammonium compounds are widely found in disinfecting sprays both at home and at work [10]. Initially described in glaucomatous patients who are constrained to a chronic eyedrop administration [9,11], BAK toxicity impacts the different structures of the ocular surface, the conjunctiva, the cornea but also deeper structures such as the trabecular meshwork, the lens or even the retina [12,13]. In addition, because of its pro-inflammatory, pro-apoptotic and pro-oxidative effects, BAK may be responsible for DED or worsen it [14–16].

    • Optimization of intraocular lens hydrogels for dual drug release: Experimentation and modelling

      2019, European Journal of Pharmaceutics and Biopharmaceutics
      Citation Excerpt :

      They report significant differences on cell cytotoxicity between 12 and 24 h exposure to 20 or 100 µg mL−1, with no significant toxic effect for the lower DCF concentration [39]. In our case, we observe that an expected DCF in vivo concentration above 20 µg mL−1 could occur for periods of time inferior to 24 h. Nonetheless, Lee et al. results were obtained with a commercial formulation that contains preservatives, which are associate to toxic effects, particularly in long-term treatments [40,41]. To further infer about the possible toxic effect of DCF released from our preservative free IOL, in vitro cytotoxicity studies should be conducted.

    View all citing articles on Scopus
    View full text