MémoirePrévalence et facteurs sociodémographiques associés à l’insomnie et au temps de sommeil en France (15–85 ans)Insomnia and total sleep time in France: Prevalence and associated socio-demographic factors in a general population survey☆
Introduction
De nombreux travaux ont montré le rôle fondamental du sommeil sur la santé, le bien-être et l’équilibre physique et psychologique des individus à tous les âges de la vie (Giordanella, 2006). Il constitue un important facteur de protection de l’état de santé. À l’inverse, les troubles du sommeil ont des conséquences sur le fonctionnement de l’organisme et du psychisme, et de ce fait sur la vie sociale et professionnelle, telles que l’absentéisme ou les accidents de la route et du travail liés à la somnolence (Léger et al., 2002, Godet-Cayre et al., 2006, Léger et al., 2006). Si une majorité des Français dort environ sept heures par jour (Léger et al., 2011), cette durée ne peut toutefois pas être considérée comme une norme prophylactique, dans la mesure où certains individus ont besoin de neuf heures de sommeil quotidien, lorsque d’autres, plus rarement, peuvent se contenter de cinq heures sans retentissement particulier sur la journée suivante. Cependant, ces durées extrêmes sont rares et la plupart des adultes trouvent leur compte de sommeil en dormant entre sept et huit heures la veille des jours de travail et huit à neuf heures la veille des jours de repos.
Le sommeil est essentiel à la préservation des capacités cognitives et motrices, à l’ajustement de nombreuses sécrétions hormonales ainsi qu’à la restauration du système immunitaire ou encore au repos du système cardiovasculaire. Un manque ponctuel de sommeil se rattrape aisément, mais un manque chronique est susceptible de favoriser, entre autres pathologies, l’hypertension artérielle, l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, ainsi que des troubles de l’humeur ou du comportement (NIH, 2005). Des études récentes ont d’ailleurs établi un lien entre durée de sommeil et espérance de vie (Gallicchio et Kalesan, 2009). Il apparaît ainsi particulièrement important d’assurer une surveillance épidémiologique des comportements de la population en matière de sommeil. Si les enquêtes françaises en population générale comportant une ou des questions sur les troubles du sommeil sont nombreuses (Chan-Chee et al., 2011), permettant parfois de suivre des évolutions (Beck et al., 2009), les enquêtes représentatives s’appuyant sur des outils permettant de mesurer de façon fiable l’insomnie selon les critères définis par l’American Academy of Sleep Medicine sont plus rares (Léger et al., 2000).
La connaissance épidémiologique du sommeil et de ses troubles repose depuis quelques années sur des outils standardisés, mais n’en demeure pas moins complexe, notamment parce que le temps moyen de sommeil nécessaire par nuit peut varier nettement d’un individu à l’autre, ce qui rend difficile la fixation d’un seuil de référence. Dans ce souci, un module complet sur le sommeil construit en collaboration avec l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) a été incorporé au questionnaire du Baromètre santé 2010 de l’Inpes, enquête en population générale. L’objectif de cet article est, d’une part, de quantifier le temps de sommeil et la prévalence de l’insomnie dans la population des 15 à 85 ans et d’explorer les facteurs associés à cette pathologie, en termes de facteurs sociodémographiques, d’événements de vie, de violences subies, d’état de santé et de conduites addictives. D’autre part, dans la mesure où le module sur le sommeil a été posé pour la première fois en 2010, il s’agira de suivre les évolutions de prévalence des troubles du sommeil dans les 8 derniers jours, par rapport aux Baromètres santé antérieurs, évalués à partir de questions sur le sommeil issues d’une échelle de qualité de vie posée depuis 1995 (Parkerson et al., 1990).
Section snippets
Méthode
Depuis le début des années 1990, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) mène, en partenariat avec de nombreux acteurs de santé, une série d’enquêtes appelées Baromètres santé, qui abordent les différents comportements et attitudes de santé des Français (Guilbert et al., 2001, Beck et al., 2007). Ces enquêtes sont des sondages aléatoires à deux degrés (ménage puis individu) réalisés à l’aide du système de collecte assistée par téléphone et informatique (CATI). Le
Temps de sommeil selon l’âge et le sexe
En 2010, le temps de sommeil moyen des 15 à 85 ans est 7 heures 13, plus élevé pour les femmes que pour les hommes (7 heures 18 vs 7 heures 07 ; p < 0,001), et le temps médian est de 7 heures 20 (7 h 30 pour les femmes et 7 heures 15 pour les hommes). Un quart de la population dort moins de 6 heures 29 par jour (22,9 % des femmes, 28,1 % des hommes) tandis qu’à l’opposé, un quart dort plus de 8 heures 00 par jour (27,8 % des femmes, 22,9 % des hommes).
Selon l’âge, la courbe du temps de sommeil suit une
Discussion
Le temps de sommeil moyen observé dans le Baromètre santé apparaît assez court, mais comparable à celui observé en population adulte lors des études annuelles de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV, 2012). L’étude confirme cependant un décalage parfois important entre le temps de sommeil dont les individus estiment avoir besoin et leur temps de sommeil réel. Ce résultat n’est en revanche pas comparable à celui de l’enquête emploi du temps de l’Insee qui observe une durée
Conclusion
Au-delà du temps de sommeil et de l’insomnie chronique, d’autres indicateurs, tels que la satisfaction de son propre sommeil ou encore la dette de sommeil, fournissent un regard complémentaire sur le sommeil de la population. La qualité et la quantité du sommeil s’avèrent très dépendantes de la bonne synchronisation de l’horloge biologique avec les horaires de coucher et de lever. Cette synchronisation se trouve fréquemment perturbée chez les jeunes adultes (qui ont tendance à retarder leurs
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références (28)
- et al.
Événements de vie et troubles du sommeil : l’impact fort de la précarité et des violences subies
Med Sommeil
(2010) - et al.
Épidémiologie de l’insomnie en France : état des lieux
Rev Epidemiol Sante Publique
(2011) - et al.
Sex and depression in the National Comorbidity Survey. I: lifetime prevalence, chronicity and recurrence
J Affect Disord
(1993) - et al.
Persistent heavy smoking as risk factor for major depression (MD) incidence--evidence from a longitudinal Canadian cohort of the National Population Health Survey
J Psychiatr Res
(2012) - et al.
Prévalence de l’insomnie : actualité épidémiologique
Med Sommeil
(2010) - et al.
Short sleep in young adults: insomnia or sleep debt? Prevalence and clinical description of short sleep in a representative sample of 1004 young adults from France
Sleep Med
(2011) - et al.
The French SF-36 Health Survey: translation, cultural adaptation and preliminary psychometric evaluation
J Clin Epidemiol
(1998) - et al.
Sleep and sleep habits from childhood to young adulthood over a 10-year period
J Psychosom Res
(2002) - et al.
Disability and quality of life impact of mental disorders in Europe: results from the European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) project
Acta Psychiatr Scand Suppl
(2004) - et al.
Une méthode de prise en compte du dégroupage total dans le plan de sondage des enquêtes téléphoniques auprès des ménages
Baromètre santé 2010, attitudes et comportements de santé
Baromètre santé 2005, attitudes et comportements de santé
Les troubles du sommeil en population générale
Med Sci (Paris)
Derivation of research diagnostic criteria for insomnia: report of an American Academy of Sleep Medicine Work Group
Sleep
Cited by (46)
The prevalence of insomnia in Spain: A stepwise addition of ICSD-3 diagnostic criteria and notes
2023, Sleep EpidemiologyRelationship between genetic polymorphisms of cytokines and self-reported sleep complaints and habitual caffeine consumption
2023, Sleep MedicineCitation Excerpt :One of the first epidemiological study on the French population aged between 18 and 65 years has indicated that 46.2% reported sleep complaints in the last 8 days, and 12.5% were severe complaints, using sleep items extracted from two questionnaires related to heath profile and quality of life [9]. The same researcher group identified thereafter that the average sleeping time of the 15 to 85-year-old among a French general population was 7 h 13 min, and that 15.8% of the population presented criteria for chronic insomnia [35]. Our results on a French working population aged 18–60 years thus broadly confirm these studies, with the exception of a lower prevalence of insomnia compared to Beck et al. [35], probably related to our population whose age limit is 60 years (vs. 85 years in Ref. [35]).
Smoking and incidence of insomnia: a systematic review and meta-analysis of cohort studies
2021, Public HealthCitation Excerpt :The association was not significant in Europe. Consistent with our result, several prior studies25,42 showed that there was no significant association between smoking and insomnia in Europe. Differences in living habits, social atmosphere, and genes might contribute to different results between areas.
The mediating effects of perceived cognitive disturbances on reported sleep disturbance, presenteeism, and functional disability in Japanese adult workers
2021, Journal of Affective Disorders ReportsCitation Excerpt :One consequence of presenteeism is a decrease in quality of life (Lopes et al., 2018; Tsuji et al., 2018). The quality of sleep also affects quality of life (Beck et al., 2013). In most workers, insomnia and presenteeism affect workplace costs (Kessler et al., 2011; Swanson et al., 2011).
Affective temperaments moderate the effect of insomnia on depressive symptoms in adult community volunteers
2021, Journal of Affective Disorders
- ☆
Enquête Baromètre santé 2010 de l’Inpes, France.