Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Des fonctions multiples et diverses sont assignées à l’école : enseigner la maîtrise des langages traditionnels et initier aux nouvelles technologies, faire réussir aux examens et apprendre les règles de la vie en société, former au respect de l’environnement et à la sécurité routière, éduquer aux médias et à l’économie, informer sur les dangers des toxicomanies et bien d’autres choses encore (Meirieu, 2002). Au-delà de ce qui fait partie de la tradition scolaire et du découpage disciplinaire (Derouet, 2005), d’autres objets, notamment les éducations à (Lange et Victor, 2006) prennent une place croissante. En ce qui concerne plus spécifiquement l’éducation à la santé et la prévention, il ne s’agit pas d’une préoccupation nouvelle. En effet, sous l’impulsion du ministre français Duruy et pour faire face aux problématiques sanitaires du moment, l’hygiène a été inscrite dès 1830 dans les programmes de l’enseignement secondaire et primaire (Parayre, 2008). Pour autant, la place accordée à la santé dans l’éducation tout comme les finalités des apprentissages dans ce domaine ne sauraient être définies une fois pour toutes. Elles doivent être régulièrement réinterrogées, tant la santé, champ situé à la frontière du public et du privé, renvoie à des problématiques sociales vives et à des questions intimes où s’exerce le coeur de la liberté du sujet. L’enjeu est de vérifier constamment que l’éducation à la santé se place dans une perspective d’émancipation du sujet et qu’elle permet de créer les conditions de possibilité de la réussite de tous les élèves (Jourdan et Simar, 2008). Selon les systèmes éducatifs, toujours marqués par une histoire et une culture propres, cette éducation à la santé tient une place différente (Pommier et Jourdan, 2007). Dans certains pays (Finlande, par exemple), il s’agit d’une matière scolaire au même titre que les mathématiques ou le français ; dans d’autres, c’est un domaine transversal, associé soit à la citoyenneté (France, par exemple), soit au développement personnel (Portugal, par exemple). Enfin, dans certains cas, comme au Québec, l’éducation à la santé est à la fois présente comme discipline (associée à l’éducation physique) et comme domaine transversal (Grenier, 2009).

Aujourd’hui, le cadre de référence des politiques scolaires dans le système éducatif français est principalement celui de la promotion de la santé (Organisation mondiale de la Santé, 1986). On en trouve différentes déclinaisons dans des programmes nationaux ou locaux : écoles promotrices de santé (Organisation mondiale de la Santé, 1996 ; Young et Williams, 1989) ou éducation à la santé globale (Kolbe, 1993) dans un bon nombre de pays anglo-saxons, École en Santé au Québec (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2005) ou Apprendre à mieux vivre ensemble en France (Simar, Jandot, Guillaumin, Rotat et Jourdan, 2008). De nombreux travaux tendent à montrer l’efficacité de ces approches tant en matière de réussite éducative que de santé (St Leger, 2005 ; St Leger, Kolbe, Lee, Mc Call et Young, 2007 ; Tones, 2005 ; Union Internationale de Promotion et d’Éducation pour la Santé, 2008). Les études menées dans le but de mettre en évidence les éléments clés susceptibles de permettre la réussite de cette démarche éducative dans le champ de la santé montrent que les interventions multifactorielles et globales sont les plus pertinentes (Sinnott, 2005 ; St Leger, 1998 ; St Leger et collab., 2007). En effet, la synthèse de l’Organisation mondiale de la Santé (Stewart-Brown, 2006) souligne que, pour être efficace, une action doit inclure des activités dans plus d’un domaine relatif à la santé et tendre vers une prise en compte de toutes les dimensions de la vie de l’élève dans l’établissement. À l’échelon des écoles, l’environnement scolaire, les relations sociales, la qualité de vie et le climat d’établissement sont aussi identifiés comme des déterminants majeurs. Les autres travaux de recherche vont dans le même sens et soulignent que les éléments clés sont la durée de l’action, le travail collectif des enseignants, le soutien institutionnel, la formation et l’accompagnement des acteurs, ainsi que la mise en oeuvre d’une approche globale centrée sur le développement des compétences sociales (Han et Weiss, 2005 ; St Leger, 1999). Il n’est pas surprenant de retrouver ici, pour un domaine particulier, l’essentiel de ce qui a été identifié comme facilitant la réussite éducative en général et la réduction des inégalités en particulier (Fullan, 2001). Des relations ont été clairement établies dans les recherches, entre comportements de santé et réussite scolaire (Lavin, Shapiro et Weill, 1992 ; Mukoma et Flisher, 2004). En complément d’autres déterminants, notamment celui de l’environnement social, la santé apparait comme un élément clé de la réussite scolaire (Jourdan et Simar, 2008).

De plus, les travaux de synthèse sur la promotion de la santé à l’école (St Leger et collab., 2007), ancrés sur les recommandations de la charte d’Ottawa (Organisation mondiale de la Santé, 1986), montrent qu’outre les dimensions d’apprentissage, d’autres doivent être prises en compte dans les pratiques des enseignants : dimensions politique, environnementale (physique et sociale), partenariale (services de santé et communauté éducative). Par ailleurs, le caractère central du rôle de l’enseignant dans une telle démarche a été montré à plusieurs reprises (Rivard et Beaudoin, 2009 ; St Leger, 1999). Dès lors, la question se pose de savoir comment l’enseignant, acteur privilégié de l’éducation à la santé, peut intégrer ces différentes dimensions dans sa pratique d’enseignement quotidienne. C’est pourquoi, dans l’étude présentée ici, nous considérons la question des pratiques en éducation à la santé du point de vue des enseignants. Cette étude s’appuie sur les travaux cités précédemment et vise à identifier les déterminants qui conditionnent la mise en oeuvre de pratiques promotrices de santé, c’est-à-dire des pratiques qui intègrent les différentes dimensions citées précédemment. Pour des raisons de commodité, nous qualifierons ces pratiques de globales. Notre question de recherche est la suivante : Quels sont les facteurs susceptibles d’être liés à la mise en oeuvre d’une pratique globale en éducation à la santé par les enseignants d’école primaire ?

À la suite de cette brève introduction, nous exposerons le cadre théorique de cette étude, qui se compose d’une définition de l’éducation à la santé à l’école, d’une recension des recherches conduites dans ce domaine et se termine par une présentation des objectifs spécifiques et des hypothèses de l’étude. Le cadre méthodologique soutenu par le cadre théorique permet ensuite de présenter les caractéristiques des enseignants engagés dans le dispositif ainsi que leurs écoles de rattachement, l’instrumentation, le déroulement de l’étude, les considérations éthiques et se clôt sur une présentation des méthodes d’analyse. Ensuite, les résultats sont exposés ; ils rendent compte des analyses statistiques qui ont été conduites sur la variable dépendante pratique globale. L’article se termine sur une discussion des résultats de l’étude aux regards de l’étude qualitative déjà menée et des recherches présentées dans la partie Recension des écrits, avant de conclure et de proposer des pistes de recherches futures ainsi que des recommandations.

2. Contexte théorique

2.1 L’éducation à la santé à l’école

L’éducation à la santé doit contribuer à l’émancipation des jeunes en leur permettant de s’approprier les moyens d’effectuer des choix, d’adopter des comportements responsables pour eux-mêmes comme vis-à-vis d’autrui et de l’environnement (Ministère de l’Éducation Nationale de France, 1998). Ainsi, l’éducation à la santé à l’école est traversée par des dimensions à visées à la fois comportementale, humaniste, appropriative et critique (Otis, 2009). Cette conception de l’éducation à la santé, par opposition à un enseignement classique de connaissances scientifiques et médicales, trouve aujourd’hui une légitimité accrue dans un contexte marqué par le renforcement de la mission socialisatrice de l’école, lieu d’éducation et non plus seulement d’acquisition de savoirs (Jasmin, 2008).

2.2 Les recherches en éducation à la santé à l’école

Dans le champ de l’éducation à la santé à l’école, les objets d’étude sont multiples. Ils peuvent concerner directement les acteurs ou indirectement, lorsque la recherche est focalisée sur des programmes ou la mise en place de réseaux, par exemple. Pour l’essentiel, ces recherches ont des visées herméneutique ou praxéologique. Il peut notamment s’agir d’évaluer comment de nouvelles prescriptions, qu’elles soient primaires (programmes scolaires, orientations ministérielles) ou secondaires (dispositif de formation), en lien avec l’éducation à la santé, peuvent devenir opérationnelles dans l’activité enseignante (Goigoux, 2007). C’est en rapport avec ce dernier point que se situe notre objet d’étude. Il s’agit de s’intéresser à la façon dont les enseignants, engagés dans un dispositif de formation et d’accompagnement en éducation à la santé, prennent en charge ces questions.

Différentes méthodologies de recherche ont été utilisées pour aborder les pratiques enseignantes en matière d’éducation à la santé. Nous avons sélectionné ici les travaux les plus pertinents en lien avec notre champ d’étude (l’école primaire), mais le lecteur peut se référer à d’autres travaux pour ce qui concerne l’enseignement secondaire (Fiard, Jourdan, Simar et Bertin, 2008 ; Turcotte, Otis et Gaudreau, 2007) et, pour une approche plus large, à l’étude de St Leger (1998). Une étude quantitative par questionnaire réalisée en France (Jourdan, Piec, Aublet-Cuvelier, Berger, Lejeune, Laquet-Riffaud, Geneix et Glandier, 2002) montre que 71 % des enseignants déclarent aborder ces questions, essentiellement en référence à des approches thématiques (hygiène, alimentation…). Les principaux déterminants de ces pratiques sont le fait de travailler dans des zones prioritaires ou dans le cadre d’un regroupement pédagogique intercommunal, et le fait d’avoir reçu une formation. Ces conclusions autour des pratiques et conceptions rejoignent celles d’une étude fondée sur une méthodologie différente, puisque basée sur l’analyse de traces écrites d’activités (compte rendu de conseil, journal de bord, fiche de préparation de séquence…) et d’entretiens complémentaires (Berger, Pizon, Benchariff et Jourdan, 2009). Les auteurs soulignent que les pratiques en éducation à la santé apparaissent très largement tributaires des conceptions des maîtres, qui vont d’une vision thématique de la santé à une vision globale. En outre, l’étude de Rommel (2009), basée sur des entretiens, complète les travaux précédents et indique que la construction de leur activité serait liée à un ensemble de déterminants au sein duquel émergerait la prescription (floue en matière d’éducation à la santé), leurs représentations (le fait qu’ils considèrent que l’éducation à la santé soit constitutive de leurs missions) et les caractéristiques sociales des élèves (la vulnérabilité sociale des élèves étant un élément clé de l’engagement des enseignants dans une démarche d’éducation à la santé). Une autre étude (Mérini, Victor et Jourdan, 2009), basée sur l’ethnographie des pratiques collectives des enseignants, fait apparaître que le développement de l’éducation à la santé est le fruit de chaînes de volontés politiques non seulement endogènes à l’établissement (le directeur, les enseignants, les parents, le personnel technique, etc.), mais aussi exogènes au monde scolaire. Pour leur part, d’autres auteurs ont tenté de modéliser les pratiques en éducation à la santé, postulant que certaines avaient plus d’impacts que d’autres. C’est le cas d’une équipe néerlandaise (Leurs, Bessems, Schaalma et De Vries, 2007) qui a examiné comment les enseignants du premier degré avaient décidé de se saisir des questions de promotion de la santé. Cette enquête par questionnaire fait ressortir que 46,2 % d’entre eux enseignent au moins les trois thèmes de base en matière de promotion de la santé à l’école fixés dans les politiques éducatives du Pays-Bas (Görts et Jonker, 2001), à savoir : l’activité physique, le développement des compétences psychosociales (y compris la prévention du harcèlement) et le prendre soin de soi.

Ces travaux permettent de situer la nature des pratiques enseignantes en éducation à la santé et de mettre en avant quelques-uns des déterminants susceptibles d’avoir une influence sur ces pratiques. D’autres travaux se sont centrés sur ces déterminants : on retrouve ceux de Buston, Wight, Hart et Scott (2002) qui ont étudié les facteurs d’implantation à propos d’un programme d’éducation à la sexualité. Trois facteurs sous-tendent la mise en oeuvre durable de ce programme, et donc le travail dans ce domaine : il s’agit du soutien de la direction scolaire, de l’intensité de la formation dispensée et de l’expérience de l’enseignant en matière d’éducation à la sexualité (sa pratique, l’intérêt porté à ces questions…). D’autres auteurs ont engagé des recherches proches, mais sur des programmes relatifs à d’autres domaines de la santé. Par exemple, Han et Weiss (2005) ont cherché à appréhender la complexité des mécanismes conduisant un enseignant à s’engager dans un programme de promotion de la santé mentale. Au-delà des facteurs contextuels susceptibles d’entrer en jeu, quatre éléments se rapportant à l’enseignant lui-même ont été mis en avant : le sentiment de compétence perçu, l’intérêt qu’il porte à l’éducation à la santé, le sentiment d’efficacité et l’acceptabilité du programme au regard des valeurs défendues par l’enseignant.

2.3 Synthèse des écrits de recherche

D’une façon générale, ces données montrent que tout se passe comme si les enseignants reconstruisaient des dispositifs prenant en compte les prescriptions, mais aussi leurs propres représentations, les besoins des élèves, le contexte de l’école (Goigoux, 2007). Pour la recherche en éducation, l’enjeu essentiel n’est donc pas de savoir si les enseignants ont ou non mis en oeuvre à la lettre un programme pensé par des experts. La question de l’efficacité ne saurait être celle de l’ajustement des enseignants à des programmes prédéterminés, leur activité n’étant pas de l’ordre de l’application (Hargreaves, 1994). Ainsi, en se référant à la fois aux données relatives à l’efficacité de l’éducation à la santé citées dans l’introduction et à celles qui concernent les pratiques enseignantes précédemment décrites, il apparaît que l’un des principaux enjeux consiste à tenter de comprendre à quelles conditions et dans quels contextes les reconstructions que les enseignants réaliseront le seront dans une perspective collective, durable, prenant en compte le développement des élèves dans toutes ses dimensions et abordant spécifiquement des thématiques de santé. C’est la raison pour laquelle nous avons cherché à comprendre, dans la présente étude, quels étaient les déterminants de telles pratiques.

2.4 Objectif spécifique et hypothèse de l’étude

Notre étude s’appuie sur un travail qualitatif réalisé en amont (Simar et Jourdan, 2010) et poursuit l’objectif spécifique d’identifier les facteurs susceptibles d’être liés à la mise en oeuvre d’une pratique globale en éducation à la santé par les enseignants d’école primaire. Sur la base de la recension des écrits sur le sujet ainsi que sur les résultats de l’étude qualitative précédente, nous formulons l’hypothèse que trois types de déterminants sont susceptibles d’intervenir : ceux liés à l’enseignant lui-même (à ses représentations et à ses pratiques), au contexte (écoles, climat d’école) et à la formation (session de formation et accompagnement des écoles) reçue. Ce type de travaux ne se prête pas aux dispositifs expérimentaux classiques qui permettent de comparer les résultats d’un groupe par rapport à un autre, et ont une faible pertinence en éducation à la santé hors des cas d’interventions limitées et ponctuelles (Nutbeam, Smith, Murphy et Catford, 1990 ; Tones, 1997). Le travail mené ici est basé sur des analyses multivariées faisant état de la complexité observée, et non sur la comparaison de deux groupes (enseignants formés ou non formés, motivés ou non motivés, climat d’école positif ou non par exemple). C’est une approche quantitative qui a, cette fois, été retenue pour cette étude. Il y a deux raisons à cela. La première concerne les finalités mêmes du recueil de données : ce qui est recherché, c’est, avant tout, la représentativité des données et non l’exhaustivité. La seconde raison a trait à la question de recherche : en visant à mettre à jour des liens entre une pratique et des déterminants, les analyses statistiques, notamment multivariées, apparaissaient adaptées pour tenter d’y répondre. Par ailleurs, ce type d’analyses a déjà été utilisé dans l’étude de Leurs et de ses collaborateurs (2007), citée précédemment. Les travaux présentés ici s’inscrivent dans une recherche participative (Israel, Eng, Schulz et Parker, 2009, qui vise à comprendre plus globalement l’influence de la formation et de l’accompagnement des équipes d’enseignants sur leur activité.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Les 116 enseignants qui ont participé à l’étude travaillaient dans 22 écoles primaires (qui accueillent des enfants de 3 à 11 ans) françaises de la région Auvergne. Ces écoles ont été enrôlées dans le dispositif de recherche en septembre 2003 ; les données collectées pour la présente étude l’ont été en 2007. Ce recrutement s’est effectué sur la base des critères de localisation, de contexte socio-économique et de taille (Tableau 1). Le taux de renouvellement des enseignants dans les écoles est estimé à 20 % par année.

Tableau 1

Caractérisation sociologique des écoles qui ont participé à la recherche

Caractérisation sociologique des écoles qui ont participé à la recherche

Légende : toutes les données sont exprimées en pourcentage. Les données relatives à l’échantillon ont été collectées directement auprès de chaque école. Le statut socio-économique est défini selon le Rectorat par groupes de catégories socioprofessionnelles (Favorisé A, Favorisé B, Moyen et Défavorisé) ce qui est spécifique à l’Éducation Nationale. Selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques est considérée comme rurale une ville dont le nombre d’habitants est inférieur à 2000 et urbaine lorsqu’il est supérieur à 2000.

* Ces données proviennent de la division études statistiques infocentre, extraits de l’application informatique du répertoire national et académique des établissements (RAMSéducation à la santé E), repères et références statistiques 2006. Il n’existe pas de données sur les écoles à l’échelon national, les chiffres correspondent alors au nombre d’écoles (publiques et privées) dans l’académie de Clermont-Ferrand par zone.

** Ces données correspondent à celles des élèves du second degré - repères et références statistiques - édition 2007 (ces chiffres correspondent aux résultats du 1er cycle général et technologique). Il n’existe pas non plus de données liées au statut socio-économique des écoles à l’échelon national.

*** Ces données sont issues de la division études statistiques infocentre, repères et références statistiques 2006/nombre d’écoles publiques en 2005-2006 selon leur nombre de classes.

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Toutes les écoles ont bénéficié d’un accompagnement (soutien dans l’élaboration de projets en éducation à la santé, rencontres régulières) par une équipe pluridisciplinaire. Chaque école et chaque enseignant ont une histoire singulière, c’est pourquoi le temps de formation est décompté individuellement. Onze écoles bénéficiaient d’une formation pédagogique systématique, alors que pour les onze autres, la formation était dispensée à la demande. De plus, le taux important de renouvellement des enseignants, les congés de maladie ou les contraintes administratives apparaissent comme autant d’éléments à considérer. L’accès des enseignants à la formation a varié de 0 à 33 h.

Le dispositif de formation pédagogique, intitulé Apprendre à mieux vivre ensemble, visait à proposer aux enseignants des pistes de travail pour prendre en compte les questions d’éducation à la santé dans leur pratique, et cela à différents nivaux : classe, école et lien école / famille. Des ressources ont été offertes aux enseignants (outils, exemple d’activité, matériel…) dans le but de leur permettre de construire leurs propres activités en éducation à la santé. Il s’agit bien de ressources et non d’un programme comprenant une succession de séquences à mettre en place (Jourdan, 2009). Ce dispositif s’inscrivait dans la perspective des programmes globaux de santé à l’école (Allensworth et Kolbe, 1987 ; Allensworth, Wyche, Lawson et Nicholson, 1995 ; Deschesnes, Martin et Jomphe Hill, 2003).

Tableau 2

Descriptif des séquences de formation dispensées durant les quatre années de mise en oeuvre du dispositif Apprendre à mieux vivre ensemble

Descriptif des séquences de formation dispensées durant les quatre années de mise en oeuvre du dispositif Apprendre à mieux vivre ensemble

Légende : descriptif des séquences de formation dispensées dans le cadre du programme Apprendre à mieux vivre ensemble. Un stage initial d’une durée de 15 h a été proposé au préalable. Puis 6 h de formation chaque année, afin d’aider les enseignants à prendre en compte les questions d’éducation à la santé dans leur pratique d’enseignement, plus largement à l’échelle de l’école, mais aussi à travers la relation école / famille. Un enseignant d’une école bénéficiant systématiquement de la formation et ayant participé à l’ensemble des modules a donc bénéficié de 33 h de formation. À l’opposé, un enseignant d’une école qui ne bénéficiait pas systématiquement de la formation et qui n’a pas fait de demande de stage n’a reçu aucune heure de formation pédagogique. Le nombre d’heures de formation par enseignant se situe ainsi entre ces deux pôles.

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Compte tenu du renouvellement des enseignants dans les écoles, des formations spécifiques à destination des nouveaux arrivants dans les écoles étaient programmées en complément du dispositif de base.

3.2 Instrumentation

L’évaluation générale de l’impact du dispositif articule des dimensions qualitatives (analyse d’entretiens, analyse d’enregistrements de concertations, ethnographie des pratiques sur la base des traces écrites produites par les écoles) et quantitatives (questionnaires). Le cadre méthodologique est celui des méthodes mixtes qui associent approches qualitative et quantitative (Creswell, 2009). Sa singularité est de penser les apports issus de différentes méthodologies dans une logique d’articulation et non de juxtaposition. Ce cadre théorique constitue une posture de recherche spécifique, mais n’enlève rien à la consistance épistémologique propre des différentes méthodologies utilisées.

Une première étude qualitative a été menée afin d’étudier le rapport des enseignants au dispositif. Il s’agissait notamment d’analyser leur participation et leur engagement au sein de ce dernier. Pour ce faire, des entretiens de type semi-directif ont été réalisés en suivant une grille de neuf questions élaborée par l’équipe de recherche et validée par le comité d’éthique. Cette grille permettait d’aborder la façon dont ils avaient appréhendé la mise en oeuvre du dispositif au sein de l’école ainsi que leur appréciation du dispositif lui-même. D’autres questions visaient à permettre leur expression sur ce que le dispositif leur avait apporté tant au plan professionnel que personnel, ainsi que sur l’impact de ce dernier sur leurs pratiques, les comportements des élèves et les relations au sein de la communauté éducative. Enfin, nous avons recueilli leur point de vue sur les aspects dont la prise en compte serait susceptible de conduire à une amélioration du dispositif.

Cette étude montre que chaque enseignant s’est approprié les outils de formation et d’accompagnement différemment ; on distingue, en effet, quatre modalités principales : non réinvestissement (10 %), prise en compte ponctuelle (12 %), intégration dans les pratiques à l’échelon de la classe (31 %) et de l’école (47 %). La dernière modalité est aussi celle qui a été identifiée dans les écrits de recherche comme ayant le plus d’impact sur la réussite éducative des élèves. L’analyse qualitative fait ressortir que les éléments clés de l’engagement des enseignants au sein de ce programme de promotion de la santé sont la formation et l’ancienneté au sein de celui-là même. Par ailleurs, des éléments relevant des déterminants personnels (adhésion aux valeurs sous-jacentes au dispositif de formation, compatibilité des représentations, perception de la pertinence du contenu) et contextuels (effectif, climat d’établissement, milieu social) ont été mis en avant.

Pour affiner l’étude des facteurs liés à l’engagement des enseignants dans le dispositif, nous avons opté pour une approche quantitative qui permet de pondérer les facteurs à l’origine de la dernière modalité de participation, le réinvestissement des outils de la formation et de l’accompagnement dans les pratiques des enseignants à l’échelon de l’école. Le dispositif mis en place peut être également qualifié de pratique globale en éducation à la santé.

L’étude présentée dans le cadre de cet article rend compte des résultats obtenus par la diffusion d’un questionnaire destiné aux enseignants. Ce dernier est un dérivé de celui de l’enquête intitulée : Pratiques et représentations en matière d’éducation à la santé des enseignants du primaire (Jourdan et collab., 2002). Dans le questionnaire utilisé pour cette étude, l’expression éducation au vivre-ensemble a été préférée à celle d’éducation à la santé, en référence à la terminologie utilisée dans les programmes scolaires en premier degré (Ministère de l’Éducation Nationale de France, 2002). Les enseignants ont rempli ce questionnaire chaque année pendant trois ans, mais ne sont présentés ici que les résultats de la troisième année. Ce questionnaire comprend quatre pages et se décline en six parties. La première partie consiste à décrire les caractéristiques générales de l’enseignant (sexe, ancienneté, cycle d’enseignement, etc.). La seconde porte sur la manière dont les enseignants ressentent le climat scolaire (relations avec la communauté éducative, perception de la violence, etc.). La troisième aborde les pratiques relatives à l’éducation au vivre-ensemble des enseignants (type d’approche, obstacles, thèmes abordés, etc.). Dans la quatrième, on demande à l’enseignant d’évaluer son intérêt et son sentiment de compétence en éducation au vivre-ensemble en s’attribuant une note de 0 à 10, 0 étant la plus faible et 10 la note maximale. Une cinquième partie aborde la formation dans le domaine de l’éducation au vivre-ensemble, formation dont a bénéficié ou non l’enseignant (nombre d’heures, dans quel cadre, besoin de formation, etc.). Enfin, la dernière partie rend compte des représentations qu’ont les enseignants en éducation au vivre-ensemble : elle touche la perception du rôle de l’enseignant en matière d’éducation au vivre-ensemble, les différents types d’approches en éducation au vivre-ensemble, la mise en oeuvre d’activités en lien avec l’éducation au vivre-ensemble et, finalement, la place de l’école par rapport aux questions d’éducation au vivre-ensemble. Dans cette dernière partie, les enseignants étaient invités à se prononcer (pas d’accord, plutôt pas d’accord, plutôt d’accord, d’accord) sur 18 items.

En ce qui concerne les corrélations entre la variable de pratique globale et les variables de type continues, elles sont testées à l’aide de test de comparaison de moyennes. Bien que la taille de notre échantillon soit théoriquement suffisante pour valider l’hypothèse de normalité du test z de l’écart réduit, nous avons préféré un test non paramétrique : le test de Wilcoxon. Ce choix se justifie par le fait que les variables continues ne prennent qu’un nombre restreint de valeurs (par exemple : la formation qui a pour valeurs : 0, 3, 6, 12, 15, 18, 21, 24, 27 et 33).

3.3 Déroulement

Dans le cadre des formations dispensées aux enseignants, le dispositif d’évaluation a fait l’objet d’un temps spécifique pendant lequel les procédures et consignes leur ont été spécifiées. En ce qui concerne les procédures, les questionnaires et les enveloppes nécessaires à l’anonymat du recueil ont été transmis aux directeurs d’école à la mi-mai. Ces derniers assuraient leurs distributions auprès des enseignants. Un mois après le dépôt, une chargée d’étude retournait dans les écoles récupérer les questionnaires auprès de chaque enseignant. En termes de consignes, seuls les délais et enjeux relatifs au remplissage du questionnaire leur étaient rappelés. Lorsque des enseignants étaient absents (malade, en formation, etc.), la personne chargée de l’étude se rendait une nouvelle fois dans les écoles.

3.4 Méthode d’analyse des données

Des analyses descriptives, univariées et multivariées ont été menées sur les données recueillies. Une variable spécifique, pratique globale, a été créée à partir des réponses à quatre des questions de la partie trois du questionnaire. Nos catégories correspondent aux critères décrits dans les écrits de recherche comme déterminants pour l’efficacité de l’action éducative en santé (se référer à l’introduction). Ainsi, la variable pratique enseignante globale repose sur quatre principes : 1) le travail en éducation à la santé est collectif et a été lancé à la suite d’une réflexion collective à l’échelle de l’école ; 2) il n’est pas ponctuel, mais durable ; 3) il porte sur plusieurs thèmes précis relatifs à l’éducation à la santé et 4) il s’insère dans un objectif d’éducation globale à la citoyenneté de l’enfant.

Dans un premier temps, nous avons procédé à une analyse descriptive afin de caractériser les enseignants qui, dans leurs pratiques, répondent aux caractéristiques de la variable dépendante. Dans un second temps, c’est une analyse univariée qui a été réalisée sur l’ensemble des variables. Les tests statistiques employés sont : test du χ2, test exact de Fisher et test de Wilcoxon. Dans un troisième temps, une régression logistique a été effectuée. La nature discrète de la variable justifie ce choix. Le modèle initial de l’analyse multivariée a été construit à partir des variables issues de l’analyse univariée ayant une p-value inférieure à 0,20. Ensuite, la sélection du meilleur modèle a été effectuée grâce à une procédure descendante non automatique. Le seuil de signification a été fixé à 5 %. En ce qui concerne le traitement des réponses manquantes, elles ont été prises en compte dans le modèle seulement lorsque leur effectif était supérieur ou égal à 10. Ces différentes analyses statistiques ont été réalisées à l’aide des logiciels EPI INFO 6.0 ®, STATA 7.0 ® et SPAD 6.0 ®. Ce plan d’analyse a été effectué sur l’ensemble des questionnaires, hormis cinq, pour lesquels les enseignants avaient déclaré ne pas travailler en éducation au vivre-ensemble. Ont été incluses dans l’analyse les caractéristiques générales de l’enseignant et les variables pour lesquelles on observait des différences de répartition de la population. Les facteurs testés sont les suivants :

  1. Caractéristiques générales de l’enseignant (sexe, ancienneté dans le métier, ancienneté dans l’école, niveau d’enseignement) ;

  2. Perception du climat scolaire (perception du climat d’école) ;

  3. Pratiques déclarées des enseignants en éducation au vivre ensemble (démarrage du travail en éducation au vivre-ensemble, perception de l’efficacité du travail en éducation au vivre-ensemble) ;

  4. Notes liées à l’intérêt et au sentiment de compétence en éducation au vivre-ensemble (score intérêt et niveau de compétence perçu) ;

  5. Formation en éducation au vivre-ensemble (nombre d’heures de formation reçues dans le domaine de l’éducation au vivre-ensemble) ;

  6. Représentations que se font les enseignants en éducation au vivre-ensemble

    • Item représentation 2 : l’éducation au vivre-ensemble concerne autant les enseignants que les parents ;

    • Item représentation 4 : un enseignant n’a pas le droit de donner des directives dans le domaine familial ;

    • Item représentation 12 : une action en éducation au vivre-ensemble n’est efficace que s’il existe un travail avec les partenaires extérieurs ;

    • Item représentation 14 : les pressions sur les matières fondamentales laissent peu de place au développement de l’éducation au vivre-ensemble ;

    • Item représentation 18 : l’éducation au vivre-ensemble pose de sérieux problèmes éthiques.

3.5 Considérations éthiques

Un courrier accompagnait la passation du questionnaire et précisait les considérations éthiques de son traitement (voir texte supra dans l’article). Les enseignants étaient libres de refuser de remplir le questionnaire, ils leur suffisaient de l’indiquer à la personne responsable de la collecte et de ne pas remettre ce dernier. Aucun questionnaire ne comportait de nom d’enseignant, les questionnaires étant rendus anonymes directement à la source au moment où ils étaient recueillis par la personne chargée de l’étude qui affectait un code à chacun. Les données ont été traitées de manière strictement anonyme. Les résultats ont fait l’objet d’une présentation collective lors du dernier temps de formation et, sur demande, l’équipe de recherche pouvait fournir des résultats plus spécifiques à l’échelon d’une école.

4. Résultats

Le taux de retour des questionnaires est de 77,4 %, soit 96 enseignants. Sur les 91 enseignants qui déclarent travailler en éducation au vivre-ensemble, 26 d’entre eux ont une pratique globale. Sur ces 26 enseignants, 84,6 % sont des femmes, et 53,8 % enseignent depuis plus de 20 ans. Ils sont 19,2 % à enseigner à des élèves âgés de 2 à 5 ans ; 26,9 %, auprès d’enfants de 6 à 8 ans ; 34,6 %, à des élèves âgés de 9 à 11 ans et 19,2 % enseignent dans une classe comprenant plusieurs cycles. Parmi eux, 50,0 % enseignent dans une classe à plusieurs niveaux. Sur les 26 enseignants, 18 sont issus d’écoles ayant reçu une formation systématique et 8, d’écoles ayant bénéficié d’une formation à la demande. Ces enseignants perçoivent le climat scolaire comme très positif et entretiennent de bonnes relations avec la communauté éducative. Ils sont 96,2 % à penser que, selon eux, la vie à l’école est très agréable. L’analyse descriptive indique que près de 80,8 % des enseignants ayant une pratique globale ont eu une formation dans ce domaine. Parmi ceux-ci, 19,0 % l’ont eue en formation initiale, 85,7 % lors de temps de formation continue, que ce soit dans le cadre d’un stage proposé à l’école ou par le plan de formation des enseignants.

Le tableau 3 présente les résultats de l’analyse univariée. Il en ressort que six facteurs sont significativement associés à une pratique globale. Les enseignants ayant démarré le travail en éducation au vivre-ensemble en décidant eux-mêmes de l’inclure dans leur programme de travail (et non suite à une sollicitation institutionnelle ou un événement extérieur) ont davantage tendance à développer une pratique globale (p = 0,04). Interrogés sur leur sentiment d’efficacité à propos de leurs actions, les enseignants se sentant tout à fait satisfaits ont plus de chance de développer une pratique globale (p = 0,02), par rapport aux enseignants qui se déclarent partiellement ou pas du tout satisfaits. Il ressort également de l’analyse univariée que plus on porte d’intérêt au travail en éducation au vivre-ensemble, plus on a tendance à mettre en oeuvre une pratique globale (p < 0,01). Il en va de même pour le sentiment de compétence (p = 0,02). Du côté des facteurs liés aux représentations des enseignants, ceux qui sont en désaccord avec le fait que la pression sur les matières fondamentales laisse peu de place au développement de l’éducation au vivre-ensemble ont davantage tendance à mettre en oeuvre une pratique globale (p < 0,01). En matière de formation en éducation au vivre-ensemble, plus un enseignant a bénéficié d’un nombre d’heures important, plus il a tendance à mettre en oeuvre une pratique globale (p = 0,05).

Tableau 3

Facteurs liés à la mise en oeuvre d’une pratique globale d’éducation à la santé (analyse univariée)

Facteurs liés à la mise en oeuvre d’une pratique globale d’éducation à la santé (analyse univariée)

Légende : Ce tableau rend compte des facteurs associés à la variable dépendante intitulée Pratique globale en éducation à la santé (analyse univariée). Pour illustrer ce tableau : un enseignant qui a décidé d’inclure le travail en éducation au vivre-ensemble dans son programme de travail a 2,7 fois plus de chance d’avoir une pratique globale en éducation à la santé. En ce qui concerne les variables continues : lorsque le nombre d’heures de formation en éducation au vivre-ensemble reçues par l’enseignant augmente d’une unité, alors il a 1,04 fois plus de chances de mettre en oeuvre une pratique globale en éducation à la santé.

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Le tableau 4 présente les résultats de l’analyse multivariée et met en évidence la corrélation de la variable dépendante pratique globale avec trois facteurs explicatifs. Il en ressort que les enseignants qui ont une note importante concernant l’intérêt porté à l’éducation au vivre-ensemble ont plus tendance à avoir une pratique globale (p < 0,01). De même, plus les enseignants ont bénéficié de formation plus ils ont tendance à mettre en oeuvre une pratique globale (p = 0,02). Enfin, les enseignants ayant décidé d’inclure le travail à la suite d’une réflexion collective à l’échelle de l’école ont, eux aussi, plus de chances de mettre en oeuvre une pratique globale (p = 0,05).

Tableau 4

Facteurs liés à la mise en oeuvre d’une pratique globale en éducation à la santé (analyse multivariée)

Facteurs liés à la mise en oeuvre d’une pratique globale en éducation à la santé (analyse multivariée)

Légende : le modèle final obtenu est le suivant : = 0,31 ; p < 0,01. Ce tableau rend compte des facteurs associés à la variable nommée Pratique globale en éducation à la santé (analyse multivariée). L’augmentation d’une unité de la note de l’intérêt en éducation au vivre-ensemble multiplie par 1,91 les chances que l’enseignant mette en oeuvre une pratique globale. Quand le nombre d’heures de formation reçues par l’enseignant augmente d’une unité, alors il a 1,06 fois plus de chance de mettre en oeuvre une pratique globale d’éducation à la santé. Ou bien encore, si l’enseignant a décidé d’inclure son travail en éducation au vivre-ensemble suite à une réflexion collective, alors il a 3,01 fois plus de chances de mettre en oeuvre une pratique globale en éducation à la santé.

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5. Discussion des résultats

Dans cet article, la question de l’éducation à la santé a été abordée sous l’angle des déterminants des pratiques déclarées des enseignants. Plus précisément, c’est en référence aux éléments clés susceptibles de permettre la réussite de cette démarche éducative dans le champ de la santé, comme nous les avons définis à partir des écrits de recherche, que le travail a été conduit. Cette étude met en évidence le rôle joué par trois groupes de facteurs : les déterminants individuels (intérêt, sentiment de compétence, représentation de la place de l’éducation à la santé), le travail collectif et la formation. Toutefois, cette étude présente des limites. Il s’agit, d’une part, du fait qu’elle repose sur les déclarations des enseignants et non sur des pratiques observées et, d’autre part, de la réduction que nécessite toute étude quantitative. Les points forts de ce travail sont le pourcentage élevé de retour des questionnaires (plus des trois quarts) et le fait qu’il se situe dans la suite d’une étude qualitative approfondie.

Le principal déterminant des pratiques globales, mis en exergue par l’étude quantitative, renvoie à des facteurs individuels liés à l’enseignant. Il est clair que, contrairement à ce qui concerne le coeur des programmes scolaires (apprentissages en français ou en mathématiques notamment), l’éducation à la santé apparaît comme un objet périphérique pour lequel l’investissement des enseignants est fortement lié à leur intérêt et à leur sentiment de compétence (Lange et Victor, 2006). Nous observons ici une convergence avec les travaux d’Han et Weiss (2005). La dimension prescriptive est ici diluée, voire faible (Pizon et Jourdan, 2009). Plus un enseignant porte de l’intérêt aux questions d’éducation à la santé, plus sa pratique a des chances d’être globale au sens défini précédemment, c’est-à-dire qu’elle se situe dans une perspective collective, durable, prenant en compte le développement des élèves dans toutes ses dimensions et abordant spécifiquement des thématiques de santé. L’étude qualitative avait également permis de mettre en évidence le poids du déterminant personnel. Les entrevues menées auprès des enseignants avaient en particulier montré l’importance de la cohérence entre les valeurs défendues par l’enseignant et celles visées dans le cadre du dispositif d’éducation à la santé.

Le sentiment de compétence (ou d’efficacité personnelle) est l’un des paramètres importants entrant en jeu dans l’activité professionnelle (Bandura, 2003 ; Nagels, 2007). Les professionnels s’investissent rarement dans une activité qu’ils estiment ne pas être en mesure de réaliser ; de la même manière, s’ils se sentent peu efficaces, ils se désintéressent de ces activités (Bandura, 1997). Les facteurs influant sur le sentiment d’efficacité personnelle sont nombreux ; ils ne relèvent pas tous de la sphère professionnelle et sont largement liés à l’histoire du sujet (Nagels, 2007). Parmi ceux qui dépendent du registre professionnel, la formation et l’accompagnement jouent un rôle central.

Les résultats montrent également que plus les enseignants ont bénéficié de formation, plus ils ont tendance à mettre en oeuvre des pratiques globales. Ce même élément saillant émanait déjà de l’étude qualitative. Les enseignants insistaient à la fois sur l’intérêt de l’apport dans le domaine pédagogique, mais aussi sur les liens que la formation permettait de créer avec d’autres collègues, notamment en milieu rural (Simar et Jourdan, 2008). Ainsi, la formation apparaît bien comme un des leviers les plus importants pour développer l’éducation à la santé dans les écoles (Jourdan, Samdal, Diagne et Carvalho, 2008 ; Larue, Fortin et Michard, 2000 ; St Leger et collab., 2007). Les méta-analyses qui portent sur l’évaluation de programmes d’éducation à la santé montrent que certaines caractéristiques doivent être réunies pour permettre à la formation d’avoir un impact suffisant ; il s’agit, notamment, de sa nature et de sa durée (Buston et collab., 2002 ; Han et Weiss, 2005 ; McCormick, Steckler et McLeroy, 1995 ; Perry, Murray et Griffin, 1990 ; Rohrbach, Graham et Hansen, 1993). Nous notons une convergence de notre étude avec les travaux précédemment cités, puisque plus les enseignants ont bénéficié de temps de formation, plus ils ont tendance à mettre en oeuvre une pratique globale. Cependant, à cause du renouvellement des enseignants au sein des écoles françaises du premier degré, de l’ordre de 20 %, il devient difficile d’offrir à chaque enseignant une formation équivalente (Simar, Jourdan, Pizon et Barnoin, 2007). L’étude qualitative avait donné la parole à tous les enseignants, y compris ceux arrivés récemment dans les écoles concernées. Ces derniers mettaient en relief les difficultés qu’ils rencontraient à entrer dans des dispositifs existants, et ce, même si des formations spécifiques avaient été organisées à leur intention (Simar et Jourdan, 2010). L’enjeu majeur est ici de permettre l’inscription de l’éducation à la santé au coeur des enseignements (St Leger, 1998), pour éviter aux enseignants de tomber dans la mise en oeuvre d’actions ponctuelles, basées sur des approches informatives dont on sait que l’impact est modeste (Klepp, Øygard, Tell Grethe et Vellar Odd, 1994 ; Stewart-Brown, 2006). De plus, parmi les éléments qui favorisent la prise en compte des questions liées à l’éducation à la santé, St Leger et ses collaborateurs (2007) précisent qu’il est essentiel pour un enseignant d’avoir accès à des ressources complémentaires, d’où l’importance accordée à l’accompagnement. L’ensemble de ces éléments laisse à penser que l’articulation formation et accompagnement, proposée dans le cadre de ce dispositif, constitue un appui aux enseignants pour inscrire les questions d’éducation à la santé au coeur de leurs pratiques. Lorsqu’il s’agit de promouvoir la prise en compte des questions d’éducation à la santé par les enseignants, c’est souvent une approche descendante (textes institutionnels, programmes de prévention) que les structures ministérielles ou les acteurs de santé publique mettent en oeuvre. Ces approches ont montré leurs limites, d’une part, parce que l’activité d’un professionnel ne se limite pas à l’application de textes (Goigoux, 2005, 2007) et, d’autre part, du fait de la spécificité de l’objet santé (il se situe en périphérie de l’activité enseignante et il touche à l’intime). Cette étude montre qu’un dispositif de formation basé sur une autre logique est susceptible d’être pertinent. Il s’agit de penser le professionnel comme acteur d’une démarche collective et non objet d’un programme.

6. Conclusion

L’objectif de cet article était de mettre en avant les facteurs susceptibles d’être liés à une pratique globale d’éducation à la santé par les enseignants du premier degré. Pour cela, une approche quantitative par questionnaire a été retenue. Des analyses univariées puis multivariées ont été conduites. Il ressort de ces différentes analyses que trois facteurs jouent un rôle clé. Il s’agit de l’intérêt que porte un enseignant aux questions d’éducation à la santé, de la quantité de formation dont il a bénéficié et, enfin, du fait qu’il travaille collectivement à ces questions avant d’amorcer le travail dans sa classe. Ces données conduisent à penser la formation des enseignants dans le domaine plutôt dans une logique de développement professionnel à long terme que d’implantation de modules courts, consacrés à la prévention de tel ou tel problème de santé publique. Ce qui est au coeur de la problématique n’est pas tant la question des méthodes ou des techniques que celle de l’identité professionnelle. Les entretiens complémentaires à ce travail quantitatif montrent clairement que lorsqu’un enseignant considère que tel ou tel champ des éducations à relève de sa compétence, il est capable, en puisant dans sa propre expérience et dans les ressources mises à sa disposition, de forger les outils nécessaire à son activité éducative. Ainsi, travailler dans la durée à permettre aux enseignants, à la fois individuellement et collectivement, de mieux identifier la nature de leur mission dans ces domaines spécifiques de l’activité pédagogique est un enjeu central.

Si de nombreux travaux de recherches et recommandations nous incitent à développer la promotion de la santé à l’école, pour autant les systèmes scolaires de chaque pays sont porteurs d’une histoire singulière, ce qui nous amène à constamment nous interroger sur l’efficience et l’impact de telles démarches. C’est pourquoi à la suite de ces travaux, une première piste de recherche s’oriente vers la mesure de l’impact des pratiques enseignantes en éducation à la santé sur le climat scolaire perçu par les élèves. Le croisement des données pourrait s’opérer en suivant des analyses statistiques à multi-niveaux, ce qui nous permettrait de mesurer le poids des variables les unes par rapport aux autres. Enfin, une seconde piste de recherche nous conduirait à approfondir les déterminants des pratiques en nous intéressant à d’autres contextes scolaires où l’éducation à la santé est considérée comme discipline scolaire à part entière. En mobilisant des techniques d’observations et d’entretiens auprès des principaux acteurs, l’influence de cette organisation particulière d’enseignement de l’éducation à la santé pourrait être appréhendée et discutée au regard d’autres contextes présentant des modalités d’enseignement différentes.